«
Illusion de pouvoir »
Notre confrère
Louis Michel Gratton, C. 65, est un spécialiste du financement
d’entreprise et a mené carrière dans le monde
des affaires. Très impliqué dans sa communauté,
il a aussi un intérêt très marqué pour
la politique, et a entre autres été maire de Saint-Lambert,
préfet de la MRC de Champlain de même que membre du
Groupe de travail sur Montréal et sa région.
Également passionné pour l’écriture,
Michel a publié en décembre 2017 Illusion
de pouvoir, le troisième roman de la
série Montréalie qui nous
transporte dans les coulisses du monde politique. Alors que son
premier roman, Le testament d'Eusèbe,
décrivait l’influence des groupes de pression sur le
monde politique, le second, Le candidat,
nous plonge au beau milieu d’une campagne électorale
à Montréal. Ce troisième roman,
Illusion de pouvoir, présente les péripéties
du personnage principal qui devient le maire de Montréal.
Pour notre intérêt et curiosité, Michel nous
souligne qu’une des scènes de Le testament
d’Eusèbe se déroule durant une
visite du Gesù, scène que nous reproduisons ici.
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Extrait du roman Le
Testament d’Eusèbe, Chapitre 21 «
Distractions »
Mise en situation : Maxime Beaubien, le personnage principal,
revoit l’actrice Catheryne Leclaire avec qui il vient de rompre
une relation de longue date.
Le conseil d’administration du théâtre Multimonde
se rencontre une fois par mois durant la saison théâtrale
dans l’une des salles du Gésu sur la rue Bleury. J’ai
été nommé à ce conseil sur la recommandation
de Catheryne, à titre de représentant du public, un
poste honorifique qui donne bonne conscience et belle figure aux
dirigeants du théâtre, surtout lorsque vient le temps
de demander des subventions à Québec.
Au cours des derniers
jours, j’ai pris la décision de donner ma démission.
La raison officielle : j’ai accepté la présidence
d’une fondation et cette nouvelle responsabilité jointe
à la présidence du Cercle de la Montréalie
ne me laisse pas suffisamment de temps à consacrer à
la troupe. Traduction libre : parce que j’ai mis fin à
ma relation avec Catheryne. Mon scénario est élaboré;
j’ai une explication plausible; je suis prêt pour la
réunion. La réunion s’est déroulée
rondement et ma démission a été acceptée
avec les remerciements d’usage.
Après la rencontre,
il est à peine dix-sept heures trente, trop tôt pour
aller souper. Catheryne me propose d’aller voir une exposition
de sculptures contemporaines présentée dans l’une
des salles d’exposition du Gésu.
La visite n’est
pas un succès : il n’y a qu’une quinzaine d’œuvres
et aucune ne me plaît. Je possède quelques pièces
que j’ai achetées au cours des années parce
qu’elles plaisaient à mon sens esthétique, mais
je suis loin d’être un connaisseur. D’ailleurs,
j’aurais de la difficulté à expliquer pourquoi
ces œuvres particulières dont j’ai fait l’acquisition
m’ont plu. Après à peine trente minutes, nous
avons terminé notre visite. Je sens que Catheryne est nerveuse
et qu’elle a la tête ailleurs. Il est encore trop tôt
pour aller souper et je lui propose :
« As-tu déjà
visité l’Église du Gésu à l’étage
supérieur? »
En entrant dans l’église,
je m’arrête un bref instant, frappé par la majesté
des lieux. Catheryne trempe le bout des doigts dans le bénitier
et fait un signe de la croix. Je fais de même, de vieux réflexes
du passé. Je ne pratique plus, Catheryne non plus, mais l’Église
a déjà fait partie de nos vies et il en demeure quelques
vestiges dans notre bagage psychique.
Je prends Catheryne par
le bras et, à voix basse par respect pour les deux personnes
que je vois agenouillées à l’avant, je l’invite
à me suivre :
« Viens, je veux
te montrer une statue qui fait partie de mes souvenirs de jeunesse.
»
Elle me suit sans dire
un mot et je m’arrête devant un autel bordé de
nombreuses plaques de marbre en reconnaissance à Notre-Dame
de Liesse. Je lui explique :
« C’est la
chapelle Notre-Dame-de-Liesse et sa célèbre statue.
Eusèbe, il était encore jésuite, m’avait
amené ici pour me montrer cette statue. J’avais une
douzaine d’années, je dévorais les livres sur
les chevaliers de la Table Ronde et j’étais un adepte
du jeu de donjons et dragons.
Cette statue de la Vierge
avec l’Enfant-Jésus sur les genoux a été
placée ici en 1877 par les Jésuites et contient les
cendres d’une autre statue de la Vierge qui a été
brûlée pendant la Révolution française.
La légende veut que la statue originale ait été
donnée par la Sainte-Vierge elle-même à trois
croisés en 1134. »
Un moment de silence pour
donner à Catheryne le temps de digérer ce que je viens
de lui dire.
« Cette statue a
été longtemps considérée comme l’un
des biens les plus précieux de l ‘Église du
Canada et cette petite chapelle était un lieu de pèlerinage
pour des milliers de fidèles. Lors de la visite, Eusèbe
m’avait discrètement indiqué une dame qui vouait
une telle dévotion à Notre-Dame de Liesse qu’elle
venait tous les jours à l’ouverture vers six heures
trente et passait la journée à dire son chapelet devant
la statue. »
Catheryne, toujours à
voix basse, réagit :
« Un peu folle,
non? »
« Tu sais, la foi.
»
Catheryne se dirige vers
un présentoir de lampions et me demande :
« As-tu une pièce
de deux dollars? Je veux faire brûler un lampion pour ma mère.
»
Je lui donne une pièce
qu’elle dépose dans le présentoir et je la vois
chercher les allumettes pour allumer son lampion.
Je lui place une main
sur l’épaule et, de l’autre, lui indique que
les lampions sont électriques et qu’ils s’activent
en pressant un bouton rouge placé sur le couvercle.
Catheryne, à voix
basse, me glisse à l’oreille :
« Est-ce que c’est
aussi efficace qu’un vrai lampion? »
« Cela me surprendrait.
»
« Viens, partons.
Les vieilles églises, avec toutes leurs statues de saints
me donnent la chair de poule. »
« Si tu n’aimes
pas les statues, il y a pire. Viens, suis-moi. »
Nous traversons l’allée
centrale de la nef et je la vois faire une génuflexion. Je
me surprends à chercher la lampe du sanctuaire pour voir
si elle est allumée. IL est là. Je fais aussi une
génuflexion. On ne sait jamais.
Je la dirige devant un
autel dominé par trois statues de martyrs canadiens. Devant
l’autel, un reliquaire. Nous nous approchons. Catheryne me
regarde, grimace et demande :
« Des vrais? »
« Je suppose. »
Le reliquaire contient
des ossements de Jean de Brébeuf, Gabriel Lalemant et Charles
Garnier, des martyrs tués par les « méchants
» Amérindiens.
Catheryne s’éloigne
et me lance :
« Allons souper.
»
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