2017-02-14
                                                      À Saint-Bruno-de-Montarville,
                   Un médecin de 
                    campagne, le Dr Donat Fournier (1905-1995)
                                    
                     
                  Donat 
                    Fournier, C. 24, est décédé en 1995, 
                    plusieurs années avant le début de la chronique 
                    des Bilans de vie. Son fils Louis, C. 62, nous dresse ici 
                    un bilan de la vie de son père. 
                                    Avril 1933. La Crise, 
                    la terrible Dépression économique des années 
                    trente, est à son plus fort. C'est alors qu'un jeune 
                    médecin de 27 ans, le docteur Donat Fournier, arrive 
                    à Saint-Bruno-de-Montarville, un village d'à 
                    peine 1000 habitants blotti au pied de sa montagne, en pleine 
                    campagne, à une trentaine de kilomètres au sud 
                    de Montréal. 
                                    Mon père pratiquera la médecine 
                    pendant près de 50 ans, dont trente-cinq ans à 
                    Saint-Bruno et dans la campagne environnante à Saint-Basile-le-Grand, 
                    Sainte-Julie, Saint-Hubert, Saint-Amable, jusque dans les 
                    rangs les plus reculés. Il sera longtemps le seul médecin 
                    de famille, ou presque, sur ce grand territoire. Il travaillera 
                    par tous les temps, jour et nuit, avec l’aide précieuse 
                    de son épouse infirmière, ma mère, Laurette 
                    Tessier.  
                                    Le Dr Fournier était un homme 
                    bon, généreux, qui aimait ses «malades» 
                    dont il a pris soin toute sa vie. Il fut de la lignée 
                    de ces médecins de campagne qui n'ont pas compté 
                    leur temps et leur dévouement. Il oeuvra au service 
                    des gens de son pays du Québec qu’il aimait tant. 
                                    Fils de 
                    charpentier 
                                    Le Dr Fournier est né le 31 
                    octobre 1905 à Warwick, un gros village des Bois-Francs 
                    non loin de Victoriaville. Fils d'Edmond Fournier et d’Albertine 
                    Martel, on le baptise Joseph Cléophas Donat Fournier. 
                    Cléophas est le pittoresque prénom de son grand-père 
                    Martel, cultivateur à Saint-Albert. 
                                    Son père Edmond, le seizième 
                    d’une famille de dix-sept enfants, est né le 
                    21 octobre 1876 à Saint-Thomas de Montmagny. Il est 
                    le fils de Jean-Baptiste Fournier, cultivateur, et d’Éléonore 
                    Gazé. Sise sur la rive sud de Québec, Montmagny 
                    est le berceau des Fournier d’Amérique dont l’ancêtre 
                    commun Guillaume, venu de la province de Normandie en France, 
                    était débarqué à Québec 
                    vers 1650, à l’époque du roi Louis XIV. 
                                    Donat n'a que cinq ans, en 1910, quand 
                    ses parents s'installent à Montréal. Son père 
                    a trouvé du travail en ville comme charpentier et menuisier 
                    dans l’industrie du bâtiment. La petite famille 
                    habite un modeste logement au 741, rue Ontario Est, près 
                    de la rue Panet, dans la paroisse du Sacré-Cœur. 
                    Elle vit dans le «Faubourg à m’lasse», 
                    ainsi qu’on appelle ce coin du quartier Sainte-Marie 
                    à cause de la forte odeur de la mélasse en tonneaux 
                    qu’on décharge, sur les quais du port, des bateaux 
                    venus des Antilles. La mélasse est alors le «sucre 
                    du pauvre». 
                                    Donat fait ses études 
                    primaires à l'école Plessis. Avec l'aide financière 
                    de son père, dont il est le seul enfant, et en occupant 
                    divers emplois, il réussit à faire son cours 
                    classique au Collège Sainte-Marie chez les Jésuites. 
                    Puis il continue à l'Université de Montréal 
                    où il obtient son doctorat en médecine en 1932. 
                    Pour payer ses études, il travaille comme ouvrier dans 
                    la construction, commis des Postes, vendeur et autres métiers, 
                    durant l’été et parfois dans l’année. 
                                    L'arrivée 
                    à Saint-Bruno 
                                    Quand il se rend pour la première 
                    fois à Saint-Bruno en avril 1933, par le train des 
                    Chemins de fer nationaux (CN), le jeune docteur va d'abord 
                    rencontrer celui qui est le médecin du village depuis 
                    une trentaine d'années, le Dr Émile Choquette. 
                    Ce dernier est gravement malade, atteint d'un cancer qui l'emportera 
                    peu après à l'âge de 58 ans. Le Dr Fournier 
                    prendra la relève du Dr Choquette. 
                                                       Le 
                    beau-frère de ce dernier, Alcidas Dulude, qui tient 
                    le magasin général, est la première personne 
                    chez qui le Dr Fournier va « veiller »; il deviendra 
                    l'une de ses meilleures relations dans le village. Le jeune 
                    médecin fait aussi la connaissance du maire Paul-Émile 
                    Huet et du curé Hermas Lachapelle. 
                                                                                                                              Le 28 avril 1933, le Dr Fournier s'établit 
                    donc à Saint-Bruno, un village qui compte environ 1 
                    150 âmes. Il loue, pour dix-huit dollars par mois, une 
                    maison en bois aujourd’hui disparue sur le Chemin de 
                    la Rabastalière. Le 8 mai, il appose fièrement 
                    sa plaque sur la façade : « Dr J.-Donat Fournier, 
                    médecin-chirurgien ». Les gens l'appelleront 
                    « le petit docteur », ou simplement le « 
                    Doc ». 
                                    Le bureau aménagé dans 
                    la maison est exigu : il n’y a pas de salle d'attente 
                    et les patients s’assoient souvent dans les marches 
                    de l'escalier… La maison est modeste : « Il n'y 
                    avait pas de baignoire. On s’est lavé à 
                    la cuvette pendant les quatre années que nous y avons 
                    habité», raconte madame Fournier. 
                  Une épouse 
                    infirmière 
                                    Donat s'installe avec son père 
                    Edmond, un veuf âgé de 56 ans et un homme à 
                    tout faire très utile qui vivra auprès de lui 
                    jusqu’à son décès, treize ans plus 
                    tard. La mère de Donat, Albertine, était morte 
                    au début de la Crise en octobre 1929. 
                                    Le 23 octobre 1933, six mois après 
                    son arrivée à Saint-Bruno, le Dr Fournier épouse 
                    Laurette Tessier, une jeune infirmière de 20 ans qu'il 
                    a connue à l'hôpital Notre-Dame de Montréal 
                    où il a fait son internat. Née le 23 novembre 
                    1912 à Clarenceville dans les Cantons de l’Est, 
                    Laurette est la troisième des sept enfants de Placide 
                    Tessier, beurrier, et Flore Sansoucy.  
                                    Saint-Bruno s'enrichit donc non seulement 
                    d'un médecin mais aussi d'une infirmière ! Et 
                    sans Laurette, sans son affection, son soutien constant et 
                    sa détermination, jamais Donat n'aurait pu faire tout 
                    ce qu'il a fait. 
                                    La Crise 
                                    Devenir médecin de campagne 
                    pendant la Crise des années trente, c'est être 
                    à la fois docteur, pharmacien, dentiste, psychologue 
                    et confident de tous ces gens qui vous confient non seulement 
                    leurs problèmes de santé mais aussi leurs misères 
                    humaines. C'est aussi s'engager dans une vie difficile en 
                    ces temps de crise où les gens sont pauvres et vivent 
                    parfois au seuil de la misère.  
                                    Les cultivateurs, qui forment la grande 
                    majorité de la clientèle du jeune médecin, 
                    traversent une mauvaise passe. Le Dr Fournier se souvient 
                    avec tristesse de deux d'entre eux qui sont morts de découragement 
                    en se jetant au fond de leur puits. Époque de détresse 
                    matérielle et aussi morale où la vie elle-même 
                    semble une longue maladie dont on ne peut guérir. 
                                    Pendant ce temps, les « Anglais 
                    » qui possèdent de somptueuses résidences 
                    dans la montagne – arrosée par cinq lacs - continuent 
                    de vivre dans l’opulence. De riches familles de Montréal 
                    comme les Drummond, les Birks, les Pease, les Meredith, ont 
                    fait du mont Saint-Bruno leur site de villégiature 
                    dès la fin du 19e siècle. Le village où 
                    s'installe le Dr Fournier illustre à sa façon, 
                    comme bien d'autres endroits au Québec, le fossé 
                    qui sépare les classes sociales, ainsi que les francophones 
                    et les anglophones. 
                                    Une vie 
                    modeste 
                                    Le jeune médecin et sa femme 
                    vivent modestement. Il se rappelle que lors de sa première 
                    année de pratique entamée en mai 1933, il a 
                    gagné des revenus de 835 dollars, « remèdes 
                    compris », et il a eu bien du mal à joindre les 
                    deux bouts L'année suivante, la situation s'améliore 
                    : environ 3 500 dollars « remèdes compris ». 
                   
                                    En fait, beaucoup 
                    de ses «malades», comme il les appelle avec compassion, 
                    n'ont tout simplement pas les moyens de payer le docteur : 
                    «Le pire, c'est que des gens ne se faisaient pas soigner 
                    parce qu'ils n'avaient pas d'argent. Quand ils me disaient 
                    Je suis trop pauvre pour vous payer, je ne leur envoyais pas 
                    de compte. Certains me payaient en nature avec des sacs de 
                    patates, des œufs, des légumes…». 
                    Souvent, les comptes impayés s'accumulent et on finit 
                    par les effacer. 
                  Le Dr Fournier se souvient d'une dame 
                    Gemme qu'il a accouchée de jumeaux dans une humble 
                    maison du Deuxième Rang des Colons à Saint-Amable 
                    : « La famille n'avait pas une cenne noire. Les cultivateurs 
                    de ce village étaient parmi les plus misérables. 
                    Pour survivre, plusieurs fabriquaient des balais de branches 
                    et des échelles de bois. C'était avant que le 
                    curé Gagnon introduise la culture des patates et des 
                    asperges qui a permis d’améliorer un peu leur 
                    sort. » 
                  Presque tous les jours, le docteur 
                    fait des visites à domicile, avec sa trousse médicale 
                    en cuir noir qu’il appelle sa valise. «C’était 
                    le Bon Dieu en personne, a raconté une de ses premières 
                    patientes, madame Lorraine Canty Quintal. Il soignait tout 
                    le monde, riches ou pauvres, sans distinctions.» 
                                    Les premiers 
                    de sept enfants 
                  Laurette et Donat auront sept enfants. 
                  Les trois premiers naissent en l'espace 
                    de trois ans : d’abord deux filles, Marthe, née 
                    le 28 novembre 1934 et Monique, le 8 novembre 1935, puis le 
                    premier de cinq garçons, Pierre, venu au monde le 23 
                    février 1937.  
                                    Cette même 
                    année, alors qu’elle vit désormais trop 
                    à l’étroit, la famille doit déménager 
                    dans une maison plus grande sise juste de l’autre côté 
                    de la rue, au 106 du Chemin de la Rabastalière Ouest. 
                    Le docteur loue cette jolie demeure ancienne en briques d’un 
                    cultivateur M. Joseph-Louis Ponton. La famille y habitera 
                    pendant six ans. 
                  2 500 accouchements 
                                    Le Dr Fournier se souvient du premier 
                    accouchement qu’il a fait, en 1933, un «gros garçon», 
                    Jean-Marie Gauthier, fils de Jeanne et d’Albert Gauthier 
                    du Rang des Vingt-Cinq. «C’était encore 
                    l’époque des grosses familles à la campagne, 
                    des familles parfois trop nombreuses», dit le Dr Fournier. 
                    Il a même connu trois familles de douze enfants chacune 
                    ! 
                    Il estime qu'il a dû réaliser quelque 2 500 accouchements 
                    en trente-cinq ans, soit une moyenne de 72 par année… 
                    Il disait souvent : « Cette personne-là, je l'ai 
                    mise au monde ! » Il était non seulement médecin 
                    généraliste mais aussi obstétricien ! 
                                    Les femmes accouchaient presque toujours 
                    à domicile en ce temps-là : « De toute 
                    façon, les familles n'auraient pas pu payer l'hôpital. 
                    » La plupart des femmes enceintes ne se faisaient pas 
                    « suivre » par le médecin, ni avant ni 
                    après l'accouchement : «Elles attendaient à 
                    la dernière minute pour m’appeler. Après 
                    1940, j'insistais pour que l'accouchement se fasse à 
                    l'hôpital, surtout dans le cas des femmes enceintes 
                    pour la première fois, les primipares. J'étais 
                    attaché à l'hôpital Notre-Dame à 
                    Montréal mais je faisais aussi des accouchements à 
                    d'autres hôpitaux montréalais : La Miséricorde, 
                    Saint-Denis, Beaulac. J'ai eu plusieurs cas de jumeaux. Je 
                    les décelais à l'œil. » Dans les 
                    années trente, il en coûtait environ 10 dollars 
                    pour un accouchement à la maison. 
                                    Maladies 
                    et accidents 
                                    Les maladies les plus courantes étaient 
                    les maladies contagieuses car il n'y avait pas encore de vaccins, 
                    sauf le vaccin contre la variole et le BCG contre la tuberculose. 
                    Il fallait donc soigner les cas de varicelle (la « picote 
                    volante »), de scarlatine, de rougeole, de coqueluche, 
                    de diphtérie. Les autres vaccins sont apparus dans 
                    les années quarante.  
                                    Mais « la vraie révolution 
                    dans la médecine, ce fut l’apparition des antibiotiques 
                    vers la fin des années quarante. Les premiers étaient 
                    les “sulfas” – les sulfamides - , puis la 
                    pénicilline vers 1950 ». 
                                    C'est en 1934 que le Dr Fournier a 
                    eu à traiter son premier « gros cas » d'accident 
                    : une collision entre deux automobiles survenue sur le Chemin 
                    Chambly, l’ancien Chemin du Roi et la route vers Montréal 
                    car le boulevard Laurier n'existe pas encore. Il a dû 
                    faire vingt-huit points de suture au visage d'une jeune femme. 
                    « Un vrai cas de chirurgie plastique, dit-il, Laurette 
                    m'a beaucoup aidé. La jeune accidentée est venue 
                    me remercier et, ma foi, elle “présentait” 
                    bien ! » 
                                    Parmi les accidents graves où 
                    on l’a demandé d'urgence, il se rappelle l'écrasement 
                    sur la montagne, en novembre 1951, d'un avion militaire de 
                    la base de Saint-Hubert qui a fait six morts. Le docteur a 
                    contribué à sauver le septième occupant 
                    de l'appareil, grièvement blessé. Une autre 
                    catastrophe est survenue durant la Deuxième Guerre 
                    mondiale, en 1944 : une explosion au Champ de tir de l'Armée 
                    canadienne à Saint-Bruno qui avait fait plusieurs morts. 
                                    Un grand 
                    territoire 
                                    Après Saint-Bruno et tous ses 
                    rangs (Douze, Vingt, Vingt-Cinq, Quarante…), c'est à 
                    Saint-Basile-le-Grand que le docteur comptait le plus grand 
                    nombre de patients, puis à Saint-Amable, Sainte-Julie 
                    et Saint-Hubert. 
                                    « J'avais un grand territoire 
                    à couvrir. Les médecins les plus proches étaient 
                    à Belœil (le Dr Archambault, le Dr Brunelle), 
                    à Saint-Lambert et à Chambly. J'ai aussi eu 
                    quelques patients de McMasterville, des travailleurs de la 
                    fabrique d’explosifs CIL qui venaient me voir en train. 
                    Le médecin de la compagnie ne parlait qu'anglais… 
                    ». 
                                    Le Dr Fournier a acquis sa première 
                    automobile, une Ford Victoria à deux sièges, 
                    dès le début de sa pratique en 1933. Il ne compte 
                    plus les fois où il s'est pris dans la neige en hiver. 
                    Une fois, en pleine tempête, il a dû rentrer à 
                    la maison à pied, enveloppé dans une couverture 
                    de laine qu'il apportait toujours avec lui. 
                                    Il raconte : « Les chemins n'ont 
                    pas été déneigés avant 1943. Le 
                    seul moyen de transport vers Montréal était 
                    encore le train. Pour les visites à domicile, les gens 
                    devaient atteler leurs chevaux et venir me chercher avec leur 
                    traîneau monté sur des patins - leur «box-sleigh» 
                    - puis ils me ramenaient à la maison. Par la suite, 
                    les Goyer ont équipé leur camion d'une charrue 
                    pour déneiger les routes. Bruno «Tom» Grisé 
                    a fait de même et c’est lui qui a longtemps déblayé 
                    mon entrée. » 
                                    « Pour les visites à 
                    Sainte-Julie, je pouvais me rendre en auto jusqu'à 
                    la Villa Grand-Coteau, la grande ferme des Frères de 
                    Saint-Gabriel, parce qu’ils déneigeaient eux-mêmes 
                    un bout du rang des Vingt-cinq pour aller livrer leurs produits 
                    à Montréal. À la ferme, les gens de Sainte-Julie 
                    venaient me chercher en traîneau à cheval, puis 
                    me ramenaient. Sainte-Julie était aussi desservie par 
                    le médecin de Varennes qui s'était acheté 
                    une motoneige. » 
                                    La Guerre 
                                    C’est au cours de la Deuxième 
                    Guerre mondiale que la situation s’est améliorée 
                    pour la majorité des habitants de Saint-Bruno. « 
                    Les gens avaient de l'ouvrage et un peu plus de sous, raconte 
                    le Dr Fournier. Plusieurs ont commencé à travailler 
                    dans les industries de guerre comme à l'avionnerie 
                    Pratt et Whitney à Longueuil et aux chemins de fer 
                    à Saint-Lambert. Des cultivateurs se sont acheté 
                    des camions pour faire du charroyage, entre autres pour les 
                    carrières Dulude et Goyer sur la montagne.» 
                                    La Caisse populaire de Saint-Bruno, 
                    une institution financière coopérative, avait 
                    été fondée en 1936 à l’initiative 
                    du curé Xiste Gagnon. Elle a encouragé l’épargne 
                    et facilité les emprunts pour les cultivateurs et les 
                    autres habitants, note le médecin. 
                                    «C'est durant la guerre qu’on 
                    a construit le boulevard Laurier, la route 116, pour aller 
                    à Montréal, ajoute le Dr Fournier Auparavant, 
                    il fallait passer par la Montée Sabourin jusqu'au Chemin 
                    Chambly. Mais en général, les gens continuaient 
                    à prendre le train pour aller en ville». Il n’y 
                    avait pas de barrières au passage à niveau près 
                    de la gare : « J’en ai parlé aux autorités. 
                    Le grand nombre d’accidents avec des blessés, 
                    et même des morts, a forcé le Canadien National 
                    à installer enfin des barrières… » 
                                    La maison 
                    en face de l’église 
                                    C'est au mitan de la guerre, en 1943, 
                    que le Dr Fournier et sa famille emménagent dans la 
                    «maison du notaire», une grande demeure ancienne 
                    construite vers le milieu du 19e siècle et sise juste 
                    en face de l'église paroissiale de Saint-Bruno, rue 
                    Montarville.  
                                    Cette belle maison en briques avec 
                    son toit en pente, ses pignons et ses lucarnes, sa longue 
                    galerie en bois sur la façade, avait été 
                    érigée vers 1860 pour le notaire Joseph-Octave 
                    Campeau, sur un terrain acquis du seigneur de Montarville, 
                    l’avocat François-Pierre Bruneau. La résidence 
                    sera vendue en 1927 à Alphonse Durivage, propriétaire 
                    d’une grande boulangerie de Montréal, qui en 
                    fera sa maison de campagne. Le docteur Fournier l'a achetée 
                    de cette famille bourgeoise. 
                                    Le médecin y fait aménager 
                    un bureau plus spacieux que celui qu'il avait auparavant et 
                    le dote d’une vraie salle d'attente. Pendant près 
                    de trente ans, jusqu’en 1972, la maison du 1649, rue 
                    Montarville fut la propriété de la famille Fournier. 
                    Acquise plus tard par la municipalité et déménagée 
                    près du petit lac du village, elle fait désormais 
                    partie du patrimoine historique et culturel de Saint-Bruno. 
                  Le décès 
                    du petit Robert 
                                    L'été 1944 est assombri 
                    par la mort du quatrième des enfants Fournier, le petit 
                    Robert. Né en juin 1940, le garçonnet succombe 
                    à une hépatite toxique à la suite d'une 
                    infection, alors qu’il vient à peine d’avoir 
                    4 ans. 
                                    Comme pour faire oublier ce grand 
                    malheur, trois autres garçons naissent en moins de 
                    trois ans : Louis, le 5 février 1945 ; Luc, le 12 novembre 
                    1946 et Jacques, le 21 décembre 1947. C'est la « 
                    deuxième génération » des enfants 
                    Fournier, qui suit la première à presque dix 
                    ans d'intervalle. 
                                    Le 14 septembre 1946, le père 
                    de Donat, mon grand-père Edmond, part à son 
                    tour pour le grand voyage à l’âge de 69 
                    ans. 
                                    Maire de 
                    Saint-Bruno 
                                    Les années d'après-guerre 
                    sont marquées par un essor graduel de la population 
                    du village. Le cap des 3 000 habitants est franchi vers la 
                    fin des années quarante avec la venue d'un fort contingent 
                    d'anciens combattants - les « vétérans 
                    » - et de leur famille qui logent dans des maisons neuves. 
                                                                                                                               Au 
                    printemps de 1949, un groupe de conseillers municipaux sollicite 
                    le Dr Fournier pour qu'il se présente à la mairie 
                    car, pour des raisons de santé, le maire Ernest Dulude 
                    doit quitter le poste qu'il occupe depuis dix ans. On compte 
                    parmi eux les échevins Arthur Jetté, Georges 
                    Palardy, Lionel Grisé et Henri Pintal, ainsi que le 
                    secrétaire de la municipalité Gérard 
                    Lalumière. Un autre candidat est toutefois sur les 
                    rangs, le marchand de bois et conseiller sortant Hubert Kéroack. 
                                    Lors des élections en mai 1949, 
                    le Dr Fournier est élu avec une bonne majorité. 
                    Durant son mandat bénévole de deux ans, Saint-Bruno 
                    se dote d'un premier système public d'éclairage 
                    des rues, soit 65 «lumières», et d'un premier 
                    réseau de 1 500 pieds de trottoirs en ciment qui remplacent 
                    les vieux trottoirs en bois. De grandes réalisations 
                    pour l'époque ! Le « Doc » est réélu 
                    par acclamation en 1951. Mais à la suite de luttes 
                    internes au sein du conseil municipal, il préfère 
                    démissionner en 1952. 
                                    Marguillier 
                    de la paroisse 
                                    Le Dr Fournier a par ailleurs été 
                    marguillier de la paroisse durant plusieurs années. 
                    Parmi ses complices au conseil de la Fabrique, son voisin 
                    et ami le comptable Émile Roy est maître-chantre 
                    à l’église. Il se lie aussi d’amitié 
                    avec un citoyen célèbre de Saint-Bruno, Gérard 
                    Filion, alors directeur du quotidien Le Devoir. Président 
                    de la commission scolaire locale, M. Filion sera élu 
                    maire en 1960. 
                                    Les réunions des marguilliers 
                    sont parfois l'occasion de déguster, dans la cave du 
                    presbytère, le vin de messe que fabrique avec bonheur 
                    le curé Gilles Gervais. Un des grands crus de son cellier 
                    porte le nom coquin de «Petit Jésus en culottes 
                    de velours»… Un autre a été baptisé 
                    du nom de «Maurice Richard», joueur de hockey 
                    légendaire et idole de tout un peuple. 
                                    Donat est un bon vivant qui aime bien 
                    prendre un petit coup dans cette  
                    atmosphère conviviale. Homme sociable il aime aussi 
                    les bons repas, les bons cigares et les bonnes parties de 
                    cartes, lui qui adore jouer au « 500 ». 
                                    La relève 
                                    En 1955, Saint-Bruno compte désormais 
                    près de 4 000 habitants. Le Dr Fournier est toujours 
                    le seul médecin du village et il compte des patients 
                    à Saint-Basile-le-Grand, Sainte-Julie et Saint-Amable. 
                    C'est alors que s'installe le premier pharmacien, André 
                    Dalpé, qui se fait connaître avec l'appui du 
                    docteur. 
                                    En 1958, Saint-Bruno, en pleine expansion, 
                    accède enfin au statut de Ville. Le jeune Dr Philippe 
                    Matteau ouvre alors un cabinet pour seconder le Dr Fournier. 
                    Les docteurs Guy Bonenfant et Claude Graveline viendront s’établir 
                    dans la foulée, puis le premier dentiste, le Dr Jean 
                    Leroux. La relève est enfin assurée. 
                                    Jusqu'à 
                    la retraite 
                                    En 1968, à l'âge de 63 
                    ans, le Dr Fournier met un terme à trente-cinq ans 
                    de pratique à Saint-Bruno et dans la campagne environnante, 
                    tout en conservant quelques vieux patients pendant plusieurs 
                    années encore.  
                                    Il n'abandonne pas la médecine 
                    pour autant car il travaille comme omnipraticien à 
                    l'hôpital psychiatrique Louis-Hippolyte-Lafontaine à 
                    Montréal, jusqu'en 1975. Parmi ses collègues 
                    de renom: le médecin et écrivain Jacques Ferron, 
                    qui pratiquait auparavant à Ville Jacques-Cartier (aujourd’hui 
                    Longueuil), et le Dr Denis Lazure, directeur de l’hôpital. 
                                    Le Dr Fournier travaille ensuite dans 
                    une clinique médicale à Longueuil, puis comme 
                    médecin attitré à la résidence 
                    pour personnes âgées Berthiaume-Du Tremblay à 
                    Montréal. Il termine sa longue carrière comme 
                    médecin des Soeurs Carmélites de Montréal. 
                                    A l'âge de 
                    75 ans, en 1981, il accepte de prendre une retraite bien méritée. 
                    Peu après, il sera décoré de l'Ordre 
                    du Mérite de Saint-Bruno-de-Montarville. 
                  Le pays 
                    du Québec 
                                    Fervent indépendantiste, admirateur 
                    de René Lévesque et membre du Parti Québécois, 
                    le Dr Fournier, aux côtés de son épouse 
                    Laurette, fut l'un des membres éminents du Comité 
                    du OUI à Saint-Bruno, dans la circonscription de Chambly, 
                    lors de la campagne du référendum sur la souveraineté 
                    du Québec en mai 1980.  
                                    Il s'apprêtait à voter 
                    de nouveau en faveur du pays du Québec lors du deuxième 
                    référendum en octobre 1995, mais il s’en 
                    est allé doucement une semaine avant le vote. Il est 
                    décédé le 23 octobre 1995, huit jours 
                    avant d'atteindre l'âge vénérable de 90 
                    ans.  
                                    Le Dr Fournier avait été 
                    précédé dans la mort par quatre de ses 
                    enfants, une terrible épreuve pour des parents. Outre 
                    le petit Robert, mort à l’âge de quatre 
                    ans en août 1944, les trois aînés sont 
                    tous décédés du cancer : Monique, infirmière, 
                    en 1983 ; Pierre, annonceur de radio, en 1989 et Marthe, religieuse 
                    de la communauté des Sœurs des Saints Noms de 
                    Jésus et de Marie, en juin 1995, quatre mois avant 
                    son père. 
                                    Laurette partira rejoindre son mari 
                    le 4 juillet 2007, à l’âge de 94 ans. Ses 
                    vieux jours et ceux de Donat auront été agrémentés 
                    par la présence de leurs nombreux petits-enfants et 
                    arrière-petits-enfants. 
                                    Le « Doc» 
                    repose en paix au cimetière de Saint-Bruno-de-Montarville, 
                    auprès de son épouse et de ses enfants décédés, 
                    dans ce village où il fut longtemps médecin 
                    de campagne au service des gens de son pays du Québec 
                    qu'il aimait tant.  
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