Plaque et Allocution de Richard L'Heureux
Allocution de Richard L’Heureux, prononcée le 16 mai 2011 lors de la Fête annuelle des anciens élèves du collège Sainte-Marie.
Arthur Surveyer, C. 96, pionnier du génie-conseil
En 1943, dans cette même salle du Gesù, les finissants avaient été réunis avant de quitter le collège pour entendre un homme de grande réputation leur faire part de son expérience de vie, leur prodiguer quelques sages conseils.
L’homme choisi cette année-là pour s’adresser aux finissants dirigeait un des bureaux de génie-conseil les plus reconnus, Arthur Surveyer et compagnie. Ce bureau allait devenir Surveyer, Nenniger, Chênevert en 1947 puis SNC inc. en 1967. Son fondateur, Arthur Surveyer, avait lui-même été élève au collège de 1890 à 1898.
Le père d’Arthur, Louis-Joseph Surveyer, exploitait une quincaillerie, boulevard Saint-Laurent, assez prospère pour lui permettre d’envoyer Arthur et ses trois frères au collège Sainte-Marie. La maison familiale était située tout près, rue La Gauchetière.
Au moment où il terminait ses études collégiales, en 1898, Arthur n’était pas encore fixé sur son choix de carrière. Sa mère le voyait comme avocat, mais il n’aimait pas parler en public. Son père le voyait comme notaire, mais cette profession ne l’attirait pas. Arthur proposa alors à son père de l’aider dans la quincaillerie familiale. Celui-ci refusa, alléguant qu’il n’avait pas payé un cours classique à son fils pour qu’il travaille à la quincaillerie.
Dans le cours de son allocution aux finissants du collège, Arthur Surveyer confia que, s’il avait les aptitudes nécessaires à l’étude du génie civil, - rappelons qu’au collège, il avait décroché des prix en mathématiques, en géométrie, en chimie et en anglais - ce n’était pas chez lui une vocation très marquée. Son intérêt était pour les affaires.
Arthur, s’inscrivit donc à l’École Polytechnique qui occupait alors une ancienne résidence privée, rue Ontario. Il en sortira avec un diplôme d’ingénieur en 1902.
Il aurait souhaité alors parfaire ses études en France, mais le diplôme de l’École polytechnique n’y était pas reconnu. Son père lui paiera un séjour d’un an à l'École de Commerce, d'Industrie et des Mines du Hainaut, en Belgique, un séjour dont il gardera un excellent souvenir.
À son retour au Canada, Arthur Surveyer est recruté par le Ministère fédéral des travaux publics. Son premier mandat sera d’étudier la faisabilité d’une voie navigable entre Montréal et le lac Huron en suivant les rivières Outaouais, Mattawa et des Français, un projet qui ne sera jamais réalisé. Ses autres tâches porteront sur des plans de canaux, barrages et quais.
Durant ses années à Ottawa, Arthur Surveyer est très marqué par la lecture du livre d’ Errol Bouchette, L’indépendance économique du Canada français, publié en 1906, qui appelle les Canadiens-français à s’emparer de l’industrie. Ce livre aura une grande influence sur lui.
Puis, à l’occasion d’une visite à Montréal, il revoit un amour de jeunesse, Blanche Cholette, et la demande en mariage. La belle donne son accord et le mariage est célébré le 10 janvier 1910.
À cette époque, Arthur a pour mandat de surveiller la construction d’une cale sèche à Port-Arthur, devenue Thunder Bay. Or, Blanche Cholette est une femme cultivée, aimant le théâtre et les concerts, événements auxquels elle était habituée à Montréal et qu’elle ne retrouve pas à Port-Arthur. Elle convainc son mari qu’il a toutes les ressources pour se lancer en affaires. Arthur Surveyer envisageait bien de travailler à son compte, mais aurait souhaité prendre encore plus d’expérience. Son épouse accélérera les choses.
1911 : c’est le retour à Montréal et l’ouverture de son bureau d’ingénieur. Sa bonne réputation professionnelle et les contacts faits pendant ces sept années au ministère des travaux publics lui serviront. Un des mandats intéressants qui lui seront confiés dès le départ : l’analyse de l’impact du détournement des eaux du lac Michigan sur la navigation.
1912 : il s’associe avec Augustin Frigon, également diplômé de l’École polytechnique pour ouvrir un bureau, rue Beaver Hall. Les deux associés dresseront les plans et devis de la centrale hydro-électrique de Grand-Mère, sur la rivière Shawinigan et assureront la surveillance des travaux. Toutefois, Frigon est avant tout intéressé à poursuivre une carrière académique et l’association prend fin en 1916.
Tôt dans sa carrière, Arthur Surveyer s’investit dans le développement de sa profession. En 1913, à Gand en Belgique, il assiste à l’assemblée de fondation de la Fédération internationale des ingénieurs-conseils. Il contribuera à la fondation de la Corporation des ingénieurs professionnels du Québec devenue par la suite l’Ordre des ingénieurs.
Notons qu’au moment où naît la Corporation, en 1920, seulement 20% de ses membres étaient francophones, travaillant surtout dans la fonction publique. Cette proportion n’était encore que de 45% en 1960!
Avec Édouard Montpetit, il fonde la Revue trimestrielle canadienne. Il donne des conférences où il développe sa vision du rôle de l’ingénieur, dont le rôle, dira-t-il, est « de choisir, parmi les découvertes de la science pure, celles qui peuvent s’appliquer à la solution des problèmes de l’industrie et de l’art de construire. » L’ingénieur doit aussi pouvoir estimer le coût d’une manufacture, les prix de fabrication et les bénéfices de l’entreprise. Un des grands atouts d’Arthur Surveyer était de pouvoir être un des seuls ingénieurs canadiens-français de l’époque à pouvoir faire des études économiques complètes de ses projets.
Après le départ d’Augustin Frigon, il recrute quelques ingénieurs mais la récession de 1921 ne lui permet pas de les garder. En 1921, il réalise une percée dans le domaine du génie industriel avec l’étude sur l’implantation d’une usine de pâtes et papier dans l’état de Washington. Ici même, en 1923, deux projets qu’il décroche, la construction d’un entrepôt pour J.B. Baillargeon Express et l’agrandissement du magasin Dupuis Frères, l’amènent à recruter deux hommes appelés à jouer un rôle très important pour l’avenir de son bureau: Georges Chênevert, jeune diplômé de l’École Polytechnique, chaudement recommandé par son ancien associé Augustin Frigon et Emil Nenniger, un ingénieur suisse-allemand fraîchement arrivé au Canada.
À l’occasion, Surveyer agit comme un mentor auprès de ses recrues : à Georges Chênevert un moment impressionné par le défi que représentait la construction de l’aqueduc de Trois-Rivières, il dit : « S’il y a des choses que vous ne savez pas, fouillez dans vos manuels scolaires. Vous serez surpris de voir à quel point on apprend dans les livres. » Un tel conseil indiquait sa confiance dans la capacité de ses jeunes employés de trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes.
Chênevert et Nenniger seront appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la réalisation des mandats, ce qui donnera à Arthur Surveyer plus de temps pour s’impliquer dans le développement. En 1927, il réalise avec Olivier Lefèbvre, une étude sur le développement énergétique pour le compte de l’ALCAN.
En 1930, il devient partenaire de la société International Bond and Share. Cette diversification permettra à l’entreprise de passer au travers de la crise des années 30.
En 1937, Chênevert et Nenniger demandent d’être associés à l’entreprise. Les temps sont difficiles… Arthur Surveyer hésite tout d’abord puis finit par accepter de partager le pouvoir, mais le nom de l’entreprise restera le même. Cependant, lui consacre le plus clair de son temps au développement d’affaires, pour le compte de International Bond and Share et le Crédit foncier franco-canadien, jugeant que cette implication pouvait procurer des contrats pour son entreprise. En 1938, il reçoit le mandat de trouver le meilleur endroit pour implanter une fonderie de chrome. Ce mandat l’amène en Angleterre et en France quelques mois avant le début de la guerre. Après de laborieuses tractations, la décision prise sera d’agrandir une usine existante à Sault-Sainte-Marie, ce qui se traduira par un important contrat de pour Arthur Surveyer et compagnie. L’entreprise continue de se partager à la fois sur les contrats de génie civil, dont l’important contrat de construction des égoûts collecteurs de Québec et ceux de génie industriel, dont une fonderie en Afrique du Sud, ainsi que des contrats pour l’ALCAN et la CIP. Sa renommée grandit dans le monde des affaires. Il est nommé administrateur de la Shawinigan Water and Power. À la fin de la guerre, Arthur Surveyer et compagnie est passée au rang de premier bureau de génie-conseil canadien-français.
Les années d’après-guerre se poursuivront sur la même lancée. En 1947, Arthur Surveyer et compagnie change de nom pour devenir Surveyer, Nenniger, Chênevert.
Surveyer aura toujours des opinions à lui. Il s’oppose au New Deal du président Roosevelt, au projet américain de voie maritime du Saint-Laurent, qui va réduire l’importance du port de Montréal et menacer l’industrie québécoise, à la nationalisation de l’électricité.
En 1949, il est un des cinq membres de la commission Massey-Lévesque sur l’éducation, la culture et les medias. Opposé à l’opinion des autres membres sur le statut de Radio-Canada, il présentera un rapport minoritaire qui est à l’origine de la création du Conseil de la radio, de la télévision et des télécommunications (CRTC ).
Pendant ce temps, l’entreprise Surveyer, Nenniger, Chênevert poursuit son essor. En 1961, Arthur Surveyer décède à l’âge de 82 ans. La Presse écrira de lui qu’il « était en vérité ce qu’au Grand Siècle on appelait un honnête homme, c’est-à-dire un homme d’une grande culture générale qui alliait les qualités du cœur à celles de l’esprit et qui était versé dans les arts et les lettres autant que dans les connaissances nécessaires à l’exercice d’une profession où il avait brillé aux premiers rangs. »
Au moment du décès de son fondateur, Surveyer, Nenniger, Chênevert compte 250 employés. Cinquante ans plus tard, avec le développement de ses activités et la fusion avec Lavalin, SNC-Lavalin en compte 22 000 et offre des services d'ingénierie, d'approvisionnement, de construction, ainsi que de gestion et de financement de projets dans des secteurs très diversifiés, ce qui en fait l’une des plus importantes firmes d’ingénierie au monde.
Il n’est que plus remarquable que le siège social de cette grande entreprise se trouve à l’emplacement même du Collège Sainte-Marie, où son fondateur étudia pendant ses huit années de cours classique.
Richard L’Heureux, C. 62
Source : Suzanne LALANDE, SNC : Génie sans frontières, Éditions Libre Expression, Montréal, 1991
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