Avril
2014
Bilan de vie :
échec, demi-réussite ou succès ?
par François
Leclair, C. 57
Felix
qui potuit rerum cognoscere causas
Bien connue des
“philosophes”qui jadis montaient à pied
jusqu’au sixième étage du vieux Collège,
cette maxime de Virgile peut inspirer la réflexion
sur un bilan de vie de quiconque veut demeurer “heureux”.
La clé de cette sérénité enseignée
par le poète se trouve dans le “connaître
les causes des choses”. La philosophie courante à
son époque, on s’en souviendra, faisait une distinction
entre les causes dites matérielles, formelles ou exemplaires,
efficientes et finales. Cette sagesse intemporelle propose
encore aujourd’hui que les fins de l’action sont
les plus importantes pour en évaluer la réussite
ou l’échec.
Dans une perspective humaniste, l’auto-évaluation
du succès de sa vie repose donc sur les buts que l’on
s’est personnellement assignés. Ils peuvent être
multiples et pas toujours en harmonie entre eux. Pensons,
par exemple, au conflit engendré par une offre de pot-de-vin
à un fonctionnaire qui recherche le luxe et le statut
social, mais aussi la tranquillité de sa conscience.
En l’acceptant, il pourra mieux réussir sa vie
matérielle et sociale, mais il se plongera dans un
échec moral troublant; en le refusant, il préservera
son intégrité et sa bonne conscience, mais au
risque d’un échec ou d’une demi-réussite
professionnelle qu’il pourrait regretter.
En raison de la multiplicité
des buts que l’on s’assigne et de la variation
de leur importance dans le temps, il apparaît irréaliste
de viser à une réussite complète de sa
vie sur tous les fronts. Mais, en gardant le cap sur un but
prioritaire qui domine les autres, on peut atteindre à
la cohérence et à la joie dans ses actions,
et à la fin à un bilan de vie positif. Un père
de famille, par exemple, qui se soucie de son épanouissement
personnel comme de celui de son entourage, pourra maintenir
une relation conjugale sans amour partagé, mais néanmoins
tolérable, pendant la durée de l’éducation
de ses jeunes, puis s’en retirer au moment opportun,
en vue du plus grand bien possible pour tous les membres de
la famille. Il pourra alors parler de demi-réussite
familiale et rester serein.
Pour établir un bilan de vie
véridique à nos propres yeux, il faut entrer
dans le domaine de nos valeurs propres qui ne sont pas toujours
identifiées clairement. L’exercice d’évaluation
se complique du fait que nous sommes aussi confrontés
aux valeurs du milieu qui exercent une influence sur les nôtres.
Souvent faudra-t-il apprécier l’importance pour
soi de la réussite matérielle qui est une puissante
injonction de la société, et qui conditionne
souvent le statut social et l’estime de soi. Dans ce
contexte, un parent ou un aidant naturel qui oeuvre dans l’ombre
sans rémunération serait-il en train de rater
sa vie ?
Cette analyse du bilan se relie à la réflexion
soumise par notre Président, dans le dernier Bulletin,
sur le sens de notre éducation qui hier préparait
les jeunes à devenir “l’élite de
demain, pour décider en fonction de l’intérêt
général et du bien public”. Je pense que
quiconque poursuit les but supérieurs préconisés
par sa proposition, fait partie de l’élite spirituelle
de la société, quelque soit sa réussite
en visibilité, en fortune ou en pouvoir. À chacun
d’évaluer comment, à cet égard,
sa vie serait un succès, une demi-réussite ou
un échec. Pour ma part, je me suis rendu compte que
l’éducation continue de la personne, chez moi
et chez les autres, a constitué une valeur humaniste
prioritaire dans ma vie, et qu’elle se réalise
encore au quotidien par des actions comme celle de vous présenter
aujourd’hui cette réflexion. Je demeure donc
spirituellement serein dans l’opération de mon
bilan de vie, avec une vive reconnaissance envers mes éducateurs
d’autrefois et mes interlocuteurs d’aujourd’hui.
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